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  • Interviews

Face à l’urgence climatique, quel rôle les médias peuvent-ils jouer ?

  • 02/04/2024
  • 4 min
  • Cécile de Comarmond, consultante éditoriale
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Résumé

D’abord en tant que directeur de l’information de Radio France puis aujourd’hui à la tête d’un projet de nouveau média dédié à la transition écologique au sein du groupe Les Echos – Le Parisien (2050NOW), Vincent Giret a fait de la formation des journalistes aux enjeux climatiques et environnementaux son terrain de prédilection. À l’heure où les entreprises (parfois malgré elles) sont devenues des médias, sa parole éclaire la responsabilité de chacun dans l’écriture de son propre récit, de sa propre information.

Comment la question environnementale s’est-elle imposée au fil de ta carrière ?

Au début des années 2000, à l’époque où je travaillais à l’Expansion, nous avons été le premier média à offrir une tribune régulière à Jean-Marc Jancovici. Cette rencontre m’a ouvert les yeux. Par la suite, j’ai commencé́ à aborder la transition écologique dans le cadre de mes fonctions de management et direction de médias, notamment à travers une rubrique au Monde sur les Smart Cities. L’idée, c’était de raconter la transformation des villes car c’est là que se croisent toutes les grandes mutations : écologique, numérique, mobilités.

À titre personnel, je me suis également mis à lire davantage sur le sujet. Mais le véritable élément déclencheur a été le COVID, quand j’ai réalisé que le journalisme avait un immense problème. En dehors de la guerre, les grands sujets qui nous assaillent ont forcément une résonance scientifique et économique. Or, les sciences et l’économie sont les deux sujets sur lesquels la culture générale des journalistes est faible pour ne pas dire inexistante.

Le COVID a servi de crash-test : subitement, une seule information a occupé́ 80 à 90 % du temps d’antenne. Au sein de Radio France, cela m’a amené́ à faire une évaluation critique de nos antennes avec des journalistes et des chefs de service Sciences Santé Environnement. Le résultat de l’enquête interne a pointé́ de nombreuses problématiques : choix des sujets et des angles, interviews et invités inadaptés ou interrogés sur des questions sur lesquelles ils ne sont pas compétents, etc. Cela crée une grande cacophonie à l’antenne et donne le sentiment que tout le monde se contredit, ce qui n’aide pas le public à se repérer.

Ce constat a-t-il été le point de départ d’un changement ?

Si ce travail critique a permis de mettre en place des règles de bonnes pratiques, avec une charte sur la manière de communiquer, il a néanmoins révélé un problème systémique : les journalistes n’ont pas les compétences sur les nombreux sujets à résonance scientifique et économique (les pandémies mais aussi le climat, la biodiversité, la mobilité, l’énergie) pour vérifier les propos des invités, les contredire et les corriger le cas échéant.

Désormais, chaque journaliste doit avoir des réflexes éditoriaux grâce à un
kit de formation. Sibyle Veil, la présidente de Radio France à l’époque du
Covid, m’a donné carte blanche pour créer un plan de formation interne afin de conscientiser les 1200 journalistes de la maison et de définir des bonnes pratiques sur les questions scientifiques ou économiques. De même, une masterclass trimestrielle sur les questions climatiques et environnementales a été instaurée pour tous les salariés de Radio France, avec l’idée de donner envie aux journalistes de se placer dans une situation apprenante.

Sur les questions climatiques, de biodiversité, des ressources et du vivant, il est nécessaire de relier nos rédactions aux lieux de savoir. Les équipes éditoriales ont vocation à devenir plus hybrides : il faut non seulement des journalistes, mais aussi des ingénieurs, des scientifiques, des spécialistes de l’intelligence artificielle… Car il s’agit non seulement de transmettre le savoir, mais aussi de mobiliser le public.

Ne faut-il pas accompagner cette démarche de nouvelles techniques de storytelling ?

La première tâche qui nous incombe est d’être des passeurs d’information et d’expliquer le réel, de façon simple et compréhensible. La seconde, c’est d’être particulièrement attentif au choix des sujets, des angles et au vocabulaire qu’on emploie. Il s’agit aussi d’éviter le discours catastrophe qui pousse au déni climatique et à l’inaction. Il faut être capable de choisir et valoriser des gens qui font des choses, des solutions innovantes, qu’elles soient humaines, entrepreneuriales ou scientifiques.

 

 

Faut-il donc raconter davantage d’histoires positives ?

Je pense que s’il n’y a pas d’imaginaire d’une transition positive, on ne progressera pas. L’idée d’un journalisme de solution avec des récits inspirants est plutôt intéressante pour éclairer les voies de passage. Bien sûr, une chaîne doit faire entendre des voix pluralistes sur le sujet. Mais dans la tonalité, dans le réglage des sujets, c’est fondamental de montrer qu’il y a une aventure collective à vivre autour du climat et de l’environnement. C’est pourquoi les médias plus activistes et militants ont aussi toute leur place car ils font bouger les lignes.

 

 

Quelle place pour le journalisme d’opinion face à la question environnementale ?

J’ai l’impression qu’il faut d’abord se tenir au plus près de la science qui peut nous renseigner sur l’état de la situation. Par contre, la science est incompétente face aux arbitrages des sociétés. C’est là qu’il y a de la place pour du journalisme d’opinion, à condition qu’il soit fondé sur des faits. Les médias ont une responsabilité sur le sujet. En effet, les politiques publiques et les consensus sociaux ne sont pas les mêmes, la démocratie fonctionne différemment selon les pays, pour ne parler que de l’Union européenne. Le rapport à la géographie, à l’espace, à la voiture, au mix énergétique ne sont pas les mêmes – donc les problématiques peuvent être différentes. Culturellement, il est très important et très intéressant de montrer quels sont les choix faits par nos voisins et de susciter un débat contradictoire.

Les journalistes ont-ils suffisamment conscience du fait qu’ils fabriquent de l’imaginaire ?

Il n’y a pas que les journalistes. Les enseignants, le cinéma, les auteurs contribuent aussi à façonner notre imaginaire. L’évolution de la technologie et des usages a agi comme des plaques tectoniques qui ont provoqué un tsunami : c’est la masse d’informations qui nous entoure. Nous sommes tous devenus des émetteurs. On like, on commente, on poste des photos et des vidéos… Le paysage de l’information est aujourd’hui hyper saturé, complètement horizontal, totalement dérégulé et très souvent toxique.
Aujourd’hui, il y a une énorme crise de confiance à l’égard de l’information, particulièrement sévère en France : moins de 30 % des Français font confiance aux médias et à l’information. Renouveler le journalisme est un enjeu vital. Or, les journalistes n’ont pas conscience de la gravité du sujet. Jean-François Revel le disait déjà à la fin des années 70 : “Je ne connais pas de profession plus aveugle à elle-même que journaliste”. Il y a toute une réflexion fondamentale à mener sur le métier pour reconstruire de la confiance. Et sur ces questions aussi vitales que le climat, la biodiversité, le vivant.

Quelle suite donner à ces réflexions ?

Quatorze millions de Français considèrent que la transition écologique est un sujet important pour leur vie personnelle et professionnelle. Ces personnes, comme les entreprises, sont à la recherche d’informations fiables et de connaissances avérées. C’est pourquoi je travaille sur un projet éditorial multiforme qui comprendra un média entièrement dédié à la transition écologique.

 

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