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  • Interviews

Inventer un nouveau modèle ? Récit réussi pour la Camif

  • 01/02/2024
  • 4 min
  • Cécile de Comarmond, Consultante éditoriale
L’entreprise peut-elle contribuer à un futur souhaitable ? Est-il possible de changer le monde de l’intérieur ? Emery Jacquillat nous répond.

Pouvez-vous nous partager votre cheminement vers un nouveau modèle d’entreprise, qui réconcilie impact social et environnemental et profit économique ?

En 2009, concilier économie et enjeux sociétaux et environnementaux était une simple vision d’entrepreneur. C’est progressivement ce qui a donné vie et corps au projet de relance de la Camif : nous avons prouvé qu’il était possible d’imaginer un modèle alternatif à celui de la grande distribution en privilégiant le local, la qualité et le durable. Grâce à des rencontres avec des chercheurs et le fond d’impact Citizen Capital, nous avons fait un long travail d’introspection pour définir la contribution positive que nous souhaitions exprimer à travers notre marque. Il fallait remettre une raison d’être au coeur du projet après la crise de 2008, avec déjà, en toile de fond, la conviction que les entreprises les plus utiles pour la société deviendraient aussi les plus performantes.

Pendant deux ans et demi, nous avons interrogé l’ensemble des parties prenantes du projet – nos clients, fournisseurs, partenaires, collaborateurs, et même nos actionnaires – sur le sens de l’existence de la Camif. À quoi sert-elle ? En quoi peut-elle être utile ? Ce travail d’introspection nous a permis de définir et d’inscrire notre mission dans nos statuts, en lui donnant un cadre volontaire et contraignant pour nos actionnaires, ce qui a renforcé l’engagement autour du projet. Par la suite, cette vision est devenue un incroyable levier d’innovation pour inventer un modèle à valeur économique, sociale et environnementale.

Ce projet d’entreprise à mission que nous avons défendu avec la Camif est ensuite devenu un modèle reconnu par la loi en 2019. Avoir un cadre structurant pérennise l’engagement.

 

nouveau modele de reussite d'entreprise

 

 

Quels sont les contours juridiques de l’entreprise à mission ?

Le cadre de mission oblige l’entreprise à formuler sa contribution positive et à modifier sa gouvernance. Ces exigences permettent aussi une vraie tension créative entre le court terme, plus financier, et le moyen à long terme, plus sociétal et environnemental.

Il y a l’obligation de rendre des comptes, avec le rapport de mission émis tous les deux ans par un organisme indépendant. C’est un cadre assez robuste qui amène le dirigeant à préciser sa vision de l’impact positif qu’il cherche à avoir dans la société.

La contribution positive de la Camif est la consommation responsable et l’économie circulaire. Avec une gouvernance dédiée, la mission perdure même si le dirigeant ou les actionnaires changent. La mission est inscrite dans les statuts, elle est une compétence de l’entreprise, elle fait partie de son plan stratégique, elle est son image de marque, elle crédibilise le modèle économique. Il faut rendre des comptes, il y a un audit, c’est solide. Se doter d’un tel cadre ne signifie pas nécessairement que nous sommes une entreprise meilleure qu’une autre, mais cela peut être un accélérateur de transformation très utile si on s’en empare avec sincérité.

 

L’entreprise peut-elle changer le monde de l’intérieur ?

Nous sommes la première génération à avoir pris conscience du lien entre nos modes de vie, de déplacement, de production, de consommation, et ce qu’on observe en termes de dérèglement du climat, de la biodiversité, etc. Et nous sommes aussi la dernière génération à pouvoir agir. Or les États ne peuvent pas tout, ni même les citoyens. Il faut agir ensemble.

Le nouveau modèle de la réussite doit être écrit par les entreprises parce que ce sont elles qui vont transformer le monde. Nos entreprises sont ancrées dans les territoires et en lien avec toute leur chaîne de valeur. Elles ont, par conséquent, un incroyable pouvoir de transformation et une agilité qu’aucun État ne pourrait avoir.

 

Mais est-il vraiment possible d’agir collectivement tant qu’on n’aura pas abandonné la concurrence pour un modèle de coopération ?

Je pense qu’il ne faut plus accepter que nos entreprises soient soumises à la concurrence de sociétés qui ne respectent pas nos normes. Agir ensemble implique un cadre légal rigoureux. J’aimerais davantage d’exigence de la part de l’Europe, moins de naïveté et surtout plus d’équité pour une meilleure régulation de l’accès au marché. J’ai d’ailleurs eu l’occasion de prendre la parole à ce sujet au Parlement européen et je vais continuer à réclamer une directive européenne : nous devons bâtir un cadre européen du capitalisme contributif.

Ceci étant dit, la vision que nous portons en Europe du rôle politique de l’entreprise est déjà en profond décalage par rapport aux modèles capitalistes chinois et américain.

En France, nous avons une histoire marquée par des avancées sociétales dont nous pouvons être fiers et que nous devrions affirmer davantage – j’en ai encore pris conscience récemment lors d’une intervention aux Nations Unies. Nous sommes le pays des droits de l’homme et donc celui du droit à vivre dans un environnement vivable et durable. Le changement doit avoir lieu maintenant, et l’entreprise doit jouer un rôle clé.

 

batir un cadre europeen du capitalisme contributif

 

Je pense qu’il ne faut pas opposer, mais aligner les États, les entreprises et les citoyens à une même volonté d’agir positivement pour l’homme et la planète. C’est ça le nouveau récit de la réussite. Ce n’est pas un choix toujours aisé. À la Camif, nous appelons de nos voeux la sobriété heureuse : un modèle où l’on consomme moins mais à travers lequel on sera plus heureux.

 

Appeler à consommer moins, n’est-ce pas contre-intuitif pour une entreprise ?

Le nouveau récit de la réussite, c’est d’inventer dès maintenant de nouveaux modèles. Je vais vous donner un exemple concret : nous venons de lancer une offre de location de chambres pour enfant et bébé. Nous sommes typiquement dans un cas d’usage où la question de la possession se pose alors que nous fabriquons des meubles qui sont faits pour durer 50 ans. On s’adresse à des jeunes familles qui veulent le meilleur mais n’ont pas forcément les moyens d’acheter de la qualité durable et du Made in France. Ce changement d’état d’esprit correspond aussi à l’air du temps : les jeunes couples ne savent plus s’ils vont avoir un enfant, encore moins s’ils en auront un second. Les familles vont pouvoir accéder à des meubles d’excellente qualité, fabriqués en France, auxquels nous pourrons potentiellement donner plusieurs vies successives de notre côté. Nous relevons le challenge de faire de l’économie de la fonctionnalité un modèle économique, avec tous les enjeux de réparation, de remise à niveau du produit, de logistique qu’il implique. L’autre défi majeur que nous avons choisi de relever : celui de l’économie circulaire, pour transformer tous nos produits en éco-conception. C’est un travail qui prend du temps et demande une coopération inter-entreprises, mais qui est plus que jamais nécessaire, face à la crise des ressources à venir. Il va falloir être moins gourmand en ressources et plus efficient dans le réemploi et le recyclage. C’est pourquoi l’année dernière, nous avons lancé notre premier matelas fabriqué à partir de matelas recyclé. Être une entreprise à mission ne se joue pas qu’au niveau de la RSE. C’est aussi agir au cœur de l’offre pour créer une valeur économique, sociale et environnementale.

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