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Mega Content
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Et si on essayait d’être Mega Content ?

  • 06/09/2023
  • 9 min
  • Marie Kock, Journaliste
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Résumé

👉 Aujourd’hui, le format long n’effraie plus personne. Au contraire. Au cinéma, dans les podcasts, les newsletters, les livres mais aussi dans le marketing, les formats longs sont une tendance qui se développe et qui a tout l’air de s’installer pour durer.

En cette rentrée, rien ne vous oblige à sourire toute la journée, mais vous auriez tout à gagner à vous intéresser aux formats longs pour être entendus.

Nous sommes en 2014. Cette année-là, les comédiennes et humoristes Tina Fey et Amy Poelher sont les maitresses de cérémonie des Golden Globes. Comme le veut l’exercice, elles présentent les films et les séries qui sont nominés, envoient des piques aux acteurs et actrices invités et annoncent le programme de la soirée. « Nous allons boucler cette soirée en trois heures. Ce que Martin Scorsese appelle : un premier acte. » La salle explose de rire, le réalisateur du Loup de Wall Street compris. Sauf que, moins de dix ans plus tard, cette blague aurait toutes les chances de faire un flop.


Passion feuilleton

Aujourd’hui, le format long n’effraie plus personne. Au contraire. Au cinéma, dans les podcasts, les newsletters, les livres mais aussi dans le marketing, les formats longs sont une tendance qui se développe et qui a tout l’air de s’installer pour durer. L’un des exemples le plus parlant de ces dernières années est le succès de Joker : avec des plans 8 à 10 fois plus longs qu’un Avengers et une intrigue complexe, le film a cartonné, en séduisant un public blasé des scènes d’action rapides et de la culture du zapping. Avatar en 2009 faisait 162 minutes, ce qui était déjà pas mal. Treize ans plus tard, James Cameron étire Avatar 2 jusqu’à 192 minutes, explosant la tendance repérée par The Hollywood Reporter selon laquelle les films gagnaient en moyenne 9 minutes en 10 ans. Les « Fat books », les pavés littéraires, ont repris du poil de la bête depuis le confinement et les éditeurs n’hésitent plus à se lancer dans des projets d’envergure malgré l’augmentation du prix du papier. La saga littéraire Blackwater chez Toussaint Louverture, un roman feuilleton de 1500 pages découpée en 6 tomes, s’est retrouvée propulsée en tête de ventes et s’est imposée comme le succès éditorial de l’année 2022. Au rayon podcast, celui du chercheur au MIT Lex Fridman a battu des records avec celui consacré à l’investisseur de la Tech Balaji Srinivasan, qui a duré… plus de huit heures. La plateforme américaine Substrack ou en France, la toute récente plateforme Kessel, ont montré que le format long pouvait être celui de la newsletter. Le très chic NewYorker s’est mis à décliner ses longs papiers en format audio d’une heure. L’agence de communication WeloveWords, spécialisée dans le content marketing, a même nommé le Mega content comme l’une des 10 « content trends » de 2023 : « À première vue, le Mega Content peut sembler une mauvaise idée, explique l’étude. Proposer une quantité astronomique d’informations à vos lecteurs ne pourrait-il pas les perdre et les décourager ? Au contraire ! Les contenus longs offrent un sentiment d’effort et d’implication de l’auteur dans son sujet et, par conséquent, rassurent sur la pertinence de ses propos et de ses recherches.(…) Le Mega Content est LE type de contenu le plus précieux que vous puissiez offrir à votre audience. » Vous trouvez que c’est long comme démonstration ? C’est justement le principe.


Tous des poissons rouges

Si le Mega Content est en train de prendre autant de valeur, c’est qu’il est une réponse à une tendance qui a phagocyté toute la production de contenus ces dernières années : celle du « snacking ». Des formats ultra courts, souvent très chartés, pensés pour pouvoir être « picorés » sans trop d’efforts cognitifs. Du « rapidement consommable », proposé en majorité sur les réseaux sociaux, et absorbés sur le quai du métro, dans les files d’attente ou en attendant que le risotto soit cuit. Des contenus hyper digestes dont le but est soit de nous faire cliquer sur un lien marchand soit de nous faire rester le plus longtemps devant les écrans pour voir le plus de pubs possible. C’est l’apogée du format Konbini, capable de nous hypnotiser avec des interviews ultra rapides dont la seule promesse est de nous apprendre si Pio Marmaï est plutôt viande ou plutôt poisson.

Si ce format a connu son heure de gloire, c’est que notre capacité d’attention n’a jamais été aussi basse. C’est ce qu’a expliqué Bruno Patino, président d’Arte France et spécialiste des médias et des questions numériques dans son essai très remarqué La civilisation du poisson rouge : Petit traité sur le marché de l’attention (Grasset, 2019). Il y raconte notamment que les ingénieurs de Google ont évalué la durée d’attention des millenials (celle qui a grandi avec les écrans connectés) à 9 secondes. Et celle du poisson rouge à 8 secondes. Pour Patino, nous sommes donc devenus des poissons rouges tournant dans leurs bocaux, à attendre la prochaine stimulation tout en oubliant aussi sec la précédente.

Un smartphone aux Etats-Unis reçoit en moyenne 46 notifications par jour en 2019. Une autre étude américaine estime qu’un usager consulte son téléphone en moyenne 96 fois par jour, soit une fois toutes les 10 minutes. Le problème c’est qu’aujourd’hui nous sommes en permanence interrompus par des expériences de plus en plus rapides et par des contenus pas forcément toujours pertinents. Car comme le résume David Shenk, dans son livre Data Smog: Surviving the Information Glut, « L’information, autrefois rare et prisée comme du caviar, est désormais abondante, considérée comme aussi banale que des pommes de terre. » Et notre cerveau n’est pas fait pour ça. Entre le volume d’informations que l’on reçoit et le rythme auquel nous soumet cette exposition, notre attention devient hachée. Ce que l’on appelle autrement le syndrome de saturation cognitive.
Quelle pourrait être la solution pour recréer un intérêt du public pour l’information dans un contexte de surabondance des formats courts et de défiance générale envers les médias ? Lors d’une journée organisée à l’école de journalisme de Sciences Po Paris en 2019, c’est bien de cela qu’on débattu plusieurs professionnels de l’information, dont Bruno Patino. Tous les participants présents ont eu la même réponse à la bouche : le long format.


Une question de taille

De quoi parle-t’on quand on parle de contenus long format ? Plusieurs écoles s’affrontent. Certains considèrent les articles de plus de 700 mots comme du contenu long format (soit dans cet article, le moment où l’on vous explique la mémoire du poisson rouge), tandis que d’autres pensent que les articles doivent en compter plus de 2 000 pour être considérés comme du contenu long format (là tout de suite nous en sommes à un peu plus de 1000 mots).

Le site d’actualités économiques Quartz refuse désormais de publier des articles dans la fourchette de 500 à 800 mots, généralement adaptée aux actualités, et devenue la norme de trop de sites sans avoir fait réellement ses preuves. Delaney a même élaboré un modèle (connu sous le nom de courbe de Quartz) basé sur la longueur des articles, qui constitue la base de l’approche de la publication en matière de contenu (voir ci-dessous). Et ce que vise Quartz dans son schéma aux airs simplistes n’est pas qu’une façon de se différencier.

Avant de changer de stratégie, Quartz publiait des contenus d’environ 1000 mots, ou moins, et mettait la gomme sur le référencement. « Le seul problème de cette stratégie ? Nous obtenions beaucoup de trafic de recherche, mais pas beaucoup de trafic de retour, de trafic direct ou de recherches de marques, et nos mesures d’engagement des utilisateurs – des choses comme le taux de rebond et le temps passé sur le site – étaient plutôt faibles. » Après l’intégration d’articles longs, le temps moyen de visite du site double, passant de 1:54 à 4:13. « En fait, certains de nos articles les plus longs ont été les plus réussis. Par exemple, notre article le plus populaire de l’année dernière (…) comptait plus de 4 600 mots. Il a été consulté plus de 89 000 fois au cours des derniers mois, avec un temps moyen sur la page de près de 6 minutes et 48 secondes. »

Le long format ne permet donc pas seulement d’augmenter le temps d’attention, mais aussi de booster les articles d’un point de vue SEO. D’abord, le Mega Content génère plus de backlinks. Le rapport sur l’état du marketing de contenu en 2019 a révélé que les pages de plus de 3 000 mots gagnaient 3,5 fois plus de liens que celles d’une longueur moyenne comprise entre 901 et 1 200 mots. Or, partages et backlinks constituent des éléments importants du référencement naturel. Mais ce référencement est aussi amélioré dans le format long parce qu’il propose des informations plus ciblées, plus précises, plus « niches » qu’un format plus court. Pour le dire autrement, ce sont ces contenus qui sortent quand on cherche une expertise sur un sujet (tandis que les contenus plus standards restent noyés dans la masse). C’est d’ailleurs l’un des atouts collatéraux du long format : montrer que celui qui le produit a vraiment des choses à dire (son analyse ne peut pas tenir en un post Instagram) et donc qu’il est une autorité sur le sujet (ce qui renforce par ailleurs la notoriété de la marque).


Power Point vs escalade en Islande

Alors qu’on approche des 1500 mots, il serait peut-être temps de parler de l’éléphant dans la pièce. Oui, créer des Mega Contents demande plus de travail que de faire du snacking ou du contenu standard. Cela nécessite bien sûr de brasser plus d’informations, de données, de concepts. Cela nécessite aussi de réfléchir à comment on raconte ce que l’on veut raconter. Comment on structure le récit, comment on crée de l’empathie avec le sujet que l’on aborde, comment on crée une histoire pour que le long format ne ressemble pas une réunion interminable dont on ne rêve que de s’échapper. Cela exclut donc tout ce qui pourrait ressembler à de la propagande insipide et à des argumentaires creux et sans âme.

À quoi cela peut-il alors ressembler ? Par exemple à ce qu’a fait IBM pour montrer comment les Big data pouvaient améliorer la vie quotidienne des gens : une étude de cas sur le service de police de Memphis, dans laquelle on suit le vrai directeur des services. Il galère dans sa lutte contre la criminalité mais grâce à la technologie d’analyse prédictive d’IBM, il arrive à identifier les zones où l’activité criminelle se concentre le plus, et donc à être plus efficace. Cela peut aussi ressembler au récit de voyage proposé par la marque outdoor engagée Patagonia, Escalade en Islande avec Loki le Trompeur, une aventure réelle pleine d’embuches, de conditions hostiles et de rochers qui glissent dans laquelle le nom de la marque n’est pas cité une seule fois mais qui reflète parfaitement les valeurs de l’entreprise. Cela peut ressembler encore à l’ebook en 10 chapitres, The definitive guide to Growth Hacking, dans lequel deux spécialistes américains des start-ups partagent toute leur expertise, gratuitement, sans même avoir à rentrer une adresse mail pour l’obtenir. Pas de retours directs mais un moyen pour eux d’être identifiés comme les leaders sur ce sujet.

Les Mega Contents sont donc des papiers de fond, plus créatifs dans leur forme, plus denses dans leur contenu. Un investissement qui a aussi le mérite de pousser les entreprises et les marques à définir ce qui est pertinent sur le temps long – et à ne pas le confondre avec ce qui est périssable, à réserver aux contenus courts. Parce que là encore, pour ne pas frôler l’indigestion de Mega Content comme avec les contenus snacking, il faut apprendre à diversifier les usages. Le format long pour les sujets de fond et les contenus evergreen, le snacking pour le contenu réseaux sociaux, les micro-synthèses, les infos simples et directes. A noter tout de même que si un empilement de posts ou de micro-contenus ne pourront pas créer un Mega Content, un long format peut lui être envisagé comme une sorte de pièce maîtresse, de vaisseau amiral, dont il est possible d’extraire des contenus ciblés, des funs facts, des arguments ou des positionnements à dégainer sur les réseaux ou dans d’autres outils de communication. En résumé, produire du snacking à la chaîne ne permet pas de créer du Mega Content, alors que le Mega Content est en lui-même un réservoir à snacking. Comme ce papier qui arrive aux 2000 mots, et est donc officiellement un format long.